Accords-cadres sans montant maximum : le point sur les évolutions récentes de la jurisprudence européenne et du droit français

Accords-cadres sans montant maximum : le point sur les évolutions récentes de la jurisprudence européenne et du droit français

4 novembre 2021

Accords-cadres sans montant maximum : le point sur les évolutions récentes de la jurisprudence européenne et du droit français

La période estivale 2021 a été le théâtre d’évolutions importantes pour les accords-cadres, semant une certaine confusion dans l’esprit des acheteurs publics et des attributaires. BatiSafe et Théo Norme vous propose de faire un point synthétique sur ces nouveautés et sur leur application dans le temps.

Dans sa version initiale, l’article R. 2162-4 du Code de la commande publique autorisait les acheteurs publics à conclure :

  • Soit des accords-cadres avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ;
  • Soit des accords-cadres avec seulement un minimum ou un maximum ;
  • Soit des accords-cadres sans minimum ni maximum.

Par un arrêt du 17 juin 2021[1], la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est venue mettre un terme à la pratique des accords-cadres sans montant maximum. Un décret du 23 août 2021 a modifié le droit français, en conséquence.


[1] Arrêt de la CJUE, 17 juin 2021, Simonsen & Weel A/S c/ Region Nordjylland og Region Syddanmark, Aff. C-23/20

Acte I : Le tour de vis du juge européen

Interrogée sur l’interprétation de plusieurs dispositions, la Cour de Justice européenne adopte une position sans appel au sujet des accords-cadres dans son arrêt du 17 juin 2021 :

« Toutefois au regard des principes d’égalité de traitement et de transparence énoncés à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24 ainsi que de l’économie générale de cette directive, il ne saurait être admis que le pouvoir adjudicateur s’abstienne d’indiquer, dans l’avis de marché, une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre. »

La Cour conclut :

« (…) l’avis de marché doit indiquer la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu’une quantité et/ou une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre et qu’une fois que cette limite aura été atteinte, ledit accord-cadre aura épuisé ses effets. » 

Il convient donc d’indiquer un maximum des achats susceptibles d’être commandés dès l’avis de publicité.

La Cour tempère toutefois cette obligation, en exposant que le pouvoir adjudicateur doit indiquer, la valeur ou l’ordre de grandeur et la fréquence des marchés à attribuer « dans la mesure du possible ».

On relèvera, en outre, que la possibilité de conclure des accords-cadres sans montant minimum contractuel n’est pas remise en question par la CJUE.

Acte II : Le décret du 23 août 2021 

Les conséquences de l’arrêt de la CJUE sur le droit français ne se sont pas faites attendre : le décret du 23 août 2021[1] a modifié l’article R.2162-4 du Code de la commande publique, mettant fin à la possibilité de conclure des accords-cadres sans maximum.

Si le principe posé par les nouvelles dispositions du droit national ne pose pas de difficulté, la question de son application dans le temps est plus complexe.

En effet, le décret précise qu’il ne s’appliquera qu’aux accords-cadres pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence est envoyé à la publication à compter du 1er janvier 2022.

Or, les juges du fond n’entendent manifestement pas attendre cette date pour commencer à sanctionner les accords-cadres conclus sans accord maximum:

« Cet arrêt de la CJUE n’a pas limité dans le temps la portée de l’interprétation donnée par elle, ce qui exclut la possibilité pour le juge des référés de différer son application fusse pour des motifs de sécurité juridique. Par suite, et alors qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’évaluation de cette valeur maximale, y compris approximative, ne serait pas possible, la procédure de passation de l’accord-cadre relative au lot n°1 ici en litige, compte tenu du manquement ainsi relevé, doit être annulée, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens soulevés par la requête. » [2]

En résumé, si on veut être prudent, il faut partir du postulat suivant : le décret du 23 août n’entrera en vigueur qu’en 2022, mais trouve à s’appliquer immédiatement.

Concrètement, il convient dès à présent, de conclure des contrats en prévoyant, dans l’avis, un montant maximum, qu’il conviendra de respecter.

Afin de s’adapter, la Direction des Affaires Juridiques[3] préconise de fixer le montant maximal « à un montant plus élevé que le montant estimé prévisible des achats sur la base des consommations moyennes des dernières années ou de la programmation budgétaire pour l’année à venir ».

Le décret du 23 août 2021 a tiré les conséquences de l’interprétation du droit européen par la CJUE, en supprimant la possibilité de conclure des accords-cadres sans maximum. Il convient d’appliquer sans attendre les nouvelles dispositions du Code de la commande publique et de prévoir systématiquement un montant maximal dans le cadre de la conclusion d’un accord cadre.


[1] Décret n° 2021-1111 du 23 août 2021 modifiant les dispositions du code de la commande publique relatives aux accords cadres et aux marchés publics de défense ou de sécurité

[2] TA Bordeaux, 23 août 2021, COVED, n°2103959

[3] https://www.economie.gouv.fr/daj/consequences-sur-les-accords-cadres-de-larret-de-la-cjue-simonsen-weel